La Suisse figure parmi les destinations les plus prisées par les expatriés européens, attirés par sa qualité de vie, son dynamisme économique et sa stabilité politique. Mais au-delà des paysages alpins et des salaires compétitifs, s’installer en Suisse implique aussi de s’adapter à un système fiscal spécifique, parfois complexe pour les nouveaux arrivants. Le pays, réputé pour sa rigueur administrative et sa transparence, applique une fiscalité à plusieurs niveaux qui diffère sensiblement des modèles centralisés d’autres pays européens.
Pour un étranger, comprendre les mécanismes d’imposition suisses est essentiel, que ce soit pour anticiper les prélèvements sur son salaire, optimiser sa situation fiscale ou simplement remplir ses obligations légales. Contrairement à une idée reçue, la Suisse n’est pas un paradis fiscal au sens classique du terme : les impôts y existent bel et bien, mais ils sont modulés avec une grande finesse selon la situation personnelle, le lieu de résidence, ou encore le type de revenus perçus. Ce guide vous propose un tour d’horizon complet, à jour, pour aborder sereinement la question des impôts en Suisse en tant qu’étranger.
Comment fonctionne le système fiscal suisse ? Trois niveaux d’imposition à connaître
Le système fiscal helvétique se distingue par sa décentralisation. Les impôts sont prélevés à trois niveaux : fédéral, cantonal et communal. La Confédération perçoit l’impôt fédéral direct (IFD), calculé de manière progressive sur le revenu. Chaque canton applique ensuite son propre impôt, avec des taux et barèmes distincts. Enfin, les communes perçoivent un impôt communal, souvent exprimé en pourcentage de l’impôt cantonal.
Cette architecture rend la charge fiscale très variable selon le lieu de résidence. Par exemple, une même famille avec un revenu identique paiera significativement moins d’impôts à Zoug qu’à Neuchâtel ou Lausanne. Pour les expatriés qui ont la possibilité de choisir leur canton, cet élément peut représenter un critère décisif dans leur installation.
Qui est imposable en Suisse ? Résidents, non-résidents et durée de séjour
Le statut de résident fiscal suisse dépend de la durée et du motif de séjour. Une personne est considérée comme résidente si elle séjourne plus de 90 jours consécutifs en Suisse sans travailler, ou plus de 30 jours si elle y exerce une activité lucrative. Dès lors, elle est imposable sur l’ensemble de ses revenus mondiaux, sauf exceptions prévues par les conventions fiscales internationales.
Les non-résidents, quant à eux, sont imposés uniquement sur leurs revenus de source suisse : salaires, dividendes, loyers ou gains immobiliers réalisés en Suisse. Cela concerne notamment les investisseurs ou propriétaires étrangers, ainsi que les travailleurs frontaliers.
Impôt à la source : un mécanisme spécifique pour les étrangers sans permis C
Les expatriés titulaires d’un permis B ou L sont soumis à l’impôt à la source. Cela signifie que l’employeur retient automatiquement l’impôt chaque mois sur le salaire brut, selon un barème établi par le canton de résidence. Ce système simplifie la gestion fiscale au départ, mais il ne tient pas toujours compte de la situation personnelle du contribuable.
Par exemple, un salarié avec enfants à charge ou des frais de garde élevés ne verra pas forcément ces éléments pris en compte dans le prélèvement initial. C’est pourquoi il existe une procédure appelée taxation ordinaire ultérieure (TOU), qui permet d’ajuster sa situation après coup. Cette demande peut être volontaire, mais elle devient obligatoire dans plusieurs cas : si le revenu annuel brut dépasse CHF 120’000, si l’on dispose de revenus annexes (locatifs, financiers), ou si l’on souhaite déduire certains frais spécifiques.
Cette taxation ordinaire permet alors d’optimiser sa charge fiscale, de manière comparable aux contribuables suisses imposés de façon classique. Elle est à demander avant le 31 mars de l’année suivant celle des revenus.
Le forfait fiscal : une option attractive pour les étrangers fortunés
La Suisse offre un régime d’imposition particulier, appelé forfait fiscal ou imposition d’après la dépense, destiné aux étrangers fortunés qui souhaitent s’installer sans exercer d’activité professionnelle en Suisse. Ce régime, disponible dans une majorité de cantons mais pas tous (Genève l’a supprimé), permet d’être imposé non pas sur le revenu réel, mais sur le train de vie en Suisse.
Le calcul du forfait se base souvent sur un multiple du loyer annuel ou de la valeur locative du logement occupé, généralement 7 fois ce montant. À titre d’exemple, une personne vivant dans une villa louée 100’000 CHF par an pourra être imposée sur un revenu forfaitaire de 700’000 CHF, indépendamment de sa fortune réelle.
Ce dispositif s’adresse principalement à des profils disposant de revenus passifs importants (dividendes, rentes, loyers, etc.) et souhaitant bénéficier d’une résidence stable tout en optimisant leur fiscalité. Il requiert l’accord du canton et un suivi régulier, car des montants minimums d’imposition s’appliquent.
Frontaliers : une fiscalité hybride entre pays de résidence et de travail
Les travailleurs frontaliers, vivant dans un pays voisin et travaillant en Suisse, sont soumis à des règles fiscales spécifiques selon leur canton d’activité et leur pays de résidence. Par exemple, un frontalier français travaillant à Genève est imposé à la source en Suisse. Le canton reverse ensuite une partie de cet impôt à la France, selon un accord bilatéral.
En revanche, dans d’autres cantons comme Vaud, le frontalier est imposé en France, avec un prélèvement limité en Suisse. La situation peut ainsi varier fortement d’un canton à l’autre. Les conventions fiscales bilatérales permettent d’éviter la double imposition, mais elles exigent une bonne compréhension des règles applicables et une coordination entre les deux pays.
Déclaration d’impôts : revenus imposables, déductions et optimisation fiscale
Les personnes imposées selon la procédure ordinaire doivent remplir une déclaration d’impôt chaque année. Celle-ci concerne non seulement les revenus suisses, mais aussi les revenus étrangers, si la personne est résidente fiscale. Plusieurs déductions sont possibles, et leur bonne utilisation peut réduire sensiblement le montant final à payer.
Parmi les déductions courantes, on trouve les frais professionnels (transport, repas, outils de travail), les cotisations aux assurances obligatoires, les charges de famille (enfants, pension alimentaire), ou encore les versements dans des produits de prévoyance comme le 3e pilier lié ou libre. Dans certains cantons, les frais de formation ou de reconversion sont aussi déductibles.
Une planification fiscale intelligente permet d’optimiser ces aspects, en tenant compte des règles cantonales qui peuvent varier considérablement.
Imposition du patrimoine : comprendre la fiscalité sur la fortune et les plus-values
Comme détaillé dans ce guide sur l’investissement pour les expatriés en Suisse, il est essentiel d’adapter sa stratégie patrimoniale au cadre fiscal et bancaire local.
Contrairement à d’autres pays, la Suisse taxe la fortune nette des particuliers. Cet impôt est perçu uniquement par les cantons et les communes. La fortune inclut les comptes bancaires, les titres, les biens immobiliers, les véhicules et autres actifs, déduction faite des dettes.
Les taux d’imposition sur la fortune sont généralement faibles (de 0,1 à 1 %), mais ils s’appliquent dès certains seuils de patrimoine. Il est donc essentiel d’évaluer correctement la valeur de ses biens pour respecter ses obligations.
Concernant les plus-values, la Suisse ne taxe pas les gains en capital réalisés sur des actions ou obligations, tant que ces opérations restent dans le cadre de la gestion privée. Les plus-values immobilières, en revanche, sont imposées de façon distincte, avec des taux qui varient selon le canton et la durée de détention.
Conventions de double imposition : un outil essentiel pour les expatriés
Pour éviter la double imposition des revenus, la Suisse a signé des conventions fiscales avec plus de 100 pays. Ces accords définissent où et comment les différents types de revenus (salaires, dividendes, pensions, intérêts) sont imposables.
En pratique, cela signifie qu’un expatrié français résidant en Suisse ne paiera pas deux fois des impôts sur le même revenu, mais devra respecter les obligations déclaratives dans les deux pays. Des mécanismes de crédit d’impôt ou d’exonération sont prévus dans les textes, mais leur mise en œuvre nécessite rigueur et précision.
Il est conseillé de se faire accompagner par un conseiller fiscal lorsqu’on a des revenus transfrontaliers ou une structure patrimoniale internationale.
Conclusion : anticiper sa fiscalité pour une expatriation réussie
S’installer en Suisse en tant qu’étranger implique de maîtriser un système fiscal à la fois rigoureux et modulable. Que vous soyez salarié, frontalier, retraité fortuné ou entrepreneur, votre fiscalité dépendra largement de votre canton, de votre statut de résidence, et de vos choix patrimoniaux.
En se renseignant en amont et en s’entourant des bons experts, il est possible de bénéficier d’un environnement fiscal stable, prévisible, et dans bien des cas, compétitif. Une bonne anticipation vous évitera bien des complications… et vous permettra de profiter pleinement de votre vie en Suisse.